Paul, Louis, Charles SADOUL

Décédé le 07/09/2011 (voir toutes les personnalités décédées en 2011)

Sadoul, Paul, Louis, Charles, Médecin, Universitaire. Né le 1er mai 1918 à Tours (Indre-et-Loire), décédé le 7 septembre 2011. Fils de Charles Sadoul, Conservateur du Musée lorrain, et de Mme, née Anne Claude.

Etudes : Lycée Henri-Poincaré et Faculté de médecine de Nancy, Rochester Medical School à New York

Éloge de Paul SADOUL PAR Alain Larcan

Paul Sadoul devient médecin

Paul Sadoul avait douze ans à la mort de son père. Sa mère lui demanda s'il envisageait de s'engager dans de longues études. Il lui répondit qu'il voulait être médecin ; sa mère, très heureuse, l'embrassa. « J'avais tellement envie qu'un de mes fils soit médecin !».

Paul, le petit dernier de Charles et Anna Sadoul, fut élève au lycée Henri Poincaré à Nancy. Il s'engagea dans les études médicales juste avant-guerre ; incorporé en 1939 dans une caserne parisienne comme étudiant en médecine sursitaire, il se porta volontaire pour le Proche Orient et gagna le Liban. Il garda d'ailleurs toujours avec le pays du Cèdre des liens affectifs et il y fit des rencontres intéressantes ; il faisait volontiers part de l'admiration qu'il portait aux frères Lalande, le prêtre et le général, côtoyés à ce moment de sa jeunesse. Démobilisé en mai 1941, il revint le cœur brisé ; « Les émigrés ont toujours tort », lui dit alors son frère. Reprenant ses études, il fréquenta le laboratoire d'histologie très renommé du professeur Remy Collin, spécialiste de la neurocrinie.

Paul ressentit très vite le besoin de voyager, de découvrir d'autres horizons, d'autres services, d'autres universités. Attiré par la recherche clinique, il effectua plusieurs stages à la Rochester Medical School, à New York, auprès du prix Nobel André Cournand, qui devait faire connaître la circulation pulmonaire et le cathétérisme du cœur droit. Il bénéficia d'une bourse que lui fit obtenir le doyen Jacques Parisot, même s'il fallut faire intervenir la diplomatie pour passer outre aux préventions que le nom qu'il portait faisait naître chez les Américains. Le doyen Jacques Parisot lui dit alors : « Non seulement votre frère a fait mourir votre père, mais voilà qu'il pourrait faire obstacle à votre carrière ». A partir de cette époque, il fréquente les maitres orientés vers la physiopathologie pulmonaire et cardiaque : Fleisch, Fenn, Rahn, Otis, aux USA, et Dautrebande, en Belgique.

Un rôle pionnier en physiopathologie respiratoire

Interne des hôpitaux de Nancy en 1946, il fréquente les services de médecine et de pneumophtisiologie (Drouet, Abel, Pierre Simonin, Jean Girard). Elève de Pierre Simonin, (et ami de son fils Jacques Simonin), élève et ami de Jean Girard, il devient pneumophtisiologue et va orienter son activité, dans une démarche originale et fondatrice, vers la physiopathologie respiratoire et l'insuffisance respiratoire chronique. Il crée à l'hôpital Maringer un laboratoire d'explorations fonctionnelles, qui va lui permettre de codifier des épreuves dérivées de la capacité vitale étudiée au spirographe. Toutes ces études firent l'objet d'un étalonnage standardisé international (accords d'Atlantic City, auxquels Paul Sadoul participa). Après les études mécaniques, il s'intéressa aux échanges gazeux et à l'équilibre acido-basique. D'autres études portèrent sur la ventilation alvéolaire, les ductances, le rapport ventilation-perfusion, l'espace mort, l'effet shunt ; des expérimentations furent menées grâce au métabographe de Fleisch et à des chambres expérimentales.

Une chaire (elles existaient encore !), fut créée spécialement pour lui en 1960, sur la recommandation des doyens Parisot et Hermann (de Lyon, mais autrefois nancéien), avec l'intitulé utilisé pour la première fois de « physiopathologie respiratoire ». Il occupera ce poste jusqu'à sa retraite en 1986. Il organisa des Entretiens et des Journées de physiopathologie respiratoire, qui se tinrent à Nancy ou à Pont-à-Mousson et qui connurent d'emblée un succès national et international. Un bulletin scientifique (Bulletin européen de physiopathologie respiratoire) fut créé, dont il fut rédacteur en chef (1965-1984) ; il fut le premier président de la Société européenne de physiopathologie respiratoire, fondée en 1986, et dont il demeura jusqu'à sa mort président honoraire. De son vivant, cette société organisait annuellement une « lecture Paul Sadoul ».

La recherche s'effectuait dans une unité INSERM, l'unité 14, dont les locaux se situèrent d'abord dans l'ancienne Faculté, rue Lionnois, puis dans un bâtiment neuf, à Brabois, à partir de 1968. L'unité, dans laquelle il fut directeur de 1960 à 1984, associait médecins, ingénieurs, techniciens et se fit connaître, entre autres, pour la création, dans l'atelier SC23 de Duvivier, de différents appareils, dont celui destiné au traitement des apnées du sommeil par pression positive continue, qui fut utilisé par Boris Eltsine. Parallèlement, dans un service assez vétuste de l'hôpital Maringer, qui ne pouvait que surprendre les stagiaires étrangers, il s'intéressa au traitement des insuffisances respiratoires chroniques et des défaillances aigues des BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive), causes de 10 % des décès annuels. Il s'intéressa aux rares médicaments susceptibles de fluidifier les sécrétions, de dilater les bronches, aux analeptiques, aux antibiotiques, bien sûr, et sans excès, mais surtout à la ventilation instrumentale et à la ventilation non invasive (VNI). Très réservé sur les indications de l'intubation et surtout de la trachéotomie, il en codifia l'usage limité et développa en pionnier les indications de la VNI aidée par la kinésithérapie. Il obtint des succès remarquables, qui ne seront repris et confirmés que tardivement, sans d'ailleurs que l'on daigne, à Paris, signaler le rôle de l'école nancéienne. Une exception cependant : un hommage fut rendu à la Pitié Salpétrière par Thomas Similowski, qui donna à la salle de réanimation le nom de Paul Sadoul. La publication princeps date de 1964, et traite de la ventilation instrumentale au masque facial pour les insuffisances respiratoires en poussée aigüe, avec pCO2 supérieure à 70 mm . La série portait sur cent cas et faisait état de 95% de guérisons.

Il faudrait rappeler les très nombreux travaux réalisés, sous sa direction, tant au laboratoire qu'au service clinique, qui portent sur la mécanique ventilatoire, l'épidémiologie des bronchopneumopathies, les insuffisances respiratoires expérimentales, les assistances extra-corporelles cœur poumon (en collaboration avec mon propre service), les réponses cardio respiratoires à l'exercice, la rhéologie du sputum, la clearance mucociliaire des liquides bronchiques, etc…

Un des domaines de prédilection de Paul Sadoul fut la silicose et surtout la sidérose des mineurs de fer, très répandue dans notre région minière. Membre du collège des trois experts, il montra (avec des crédits de la CECA) qu'aux stades initiaux de ces deux affections, seules des explorations fonctionnelles objectives et réalisées minutieusement permettaient le diagnostic et, de ce fait, l'indemnisation, alors que la clinique et la radiologie restaient encore muettes. Il réalisa ces recherches en collaboration avec la médecine des mines, en particulier le docteur Ruyssen, à Merlebach.

Ses travaux sont consignés dans de nombreux articles et plusieurs ouvrages : L'expertise de la silicose (en collaboration, 1959), L'exploration fonctionnelle pulmonaire (en collaboration), gros traité paru chez Flammarion (1964), Les maladies chroniques des bronches (1984).

Ayant obtenu en clinique des succès, en particulier grâce à la VNI, les cas se multipliant, il se rendit compte que l'oxygénothérapie, la kinésithérapie et même l'assistance respiratoire intermittente pouvaient aider l'insuffisant respiratoire arrivé à un stade évolutif avancé. C'est dans le cadre de la médecine sociale, chère à Jacques Parisot, qu'il fonda, à Nancy, l'ANTADIR (Association nationale pour le traitement à domicile de l'insuffisance respiratoire chronique) ; il présida cette association, très active, de 1959 à 1984, date à laquelle il transmit le flambeau au professeur Cyr-Voisin (de Lille). Il reçut de nombreuses distinctions, fut nommé membre correspondant de l'Académie nationale de Médecine en 1991 ; il était membre honoraire étranger de l'Académie royale de Belgique (1993) et resta jusqu'à la fin de ses jours président de la Fondation Dautrebande, à Bruxelles. Il était officier de la Légion d'honneur, ainsi que de l'Ordre national du Mérite et des Palmes académiques.

Président de la Société d'histoire de la Lorraine et du Musée Lorrain

Paul Sadoul s'honorait d'appartenir à l'Académie de Stanislas ; correspondant en 1988, il devint titulaire en 1995, et présida la compagnie en 2002. Son discours de réception pose une question importante d'éthique : l'expérimentation sur l'homme est-elle indispensable aux progrès de la médecine ?

Mais c'est à la Société d'histoire de la Lorraine et du Musée Lorrain, qu'il présida de 1987 à 1997, qu'il consacra l'essentiel de son énergie. Il connaissait bien la maison : il n'avait pas dix ans lorsque son père l'emmenait, chaque jeudi matin, au Musée, où se tenait une réunion informelle de conservateurs bénévoles et de membres de la Société, passionnés de l'histoire de Lorraine, qui discutaient déjà des agrandissements promis par Raymond Poincaré en 1912…Il se souvenait aussi de l'entrée « timide » de Pierre Marot en 1927, venu demander le privilège d'assister à ces réunions afin de bénéficier de l'expérience des anciens.

Il succéda au Doyen Beau en 1987, à une époque difficile pour la Société. Il se passionna dès lors pour la rénovation du Musée. Nous voulions, en effet, que les collections accumulées par la Société depuis 1850, et résultant pour beaucoup de dons, puissent être présentées dans les conditions muséographiques les plus modernes. Nous avons travaillé ensemble sur le projet Brard (1988), le contrat Etat-Région (1994-1998), en bénéficiant du rapport exhaustif, établi à l'Inspection générale des Musées, par Géraud de la Tour d'Auvergne et Sabine Cotté (1995) ; ce dernier rapport fit apparaître comme souhaitable et même nécessaire des modifications des statuts qui transformèrent en 1997 la Société d'archéologie lorraine et du Musée historique lorrain, en Société d'histoire de la Lorraine et du Musée Lorrain. Les rapports avec la Municipalité, de plus en plus partie prenante dans l'administration et la prise en charge du personnel, des travaux et des projets, étaient facilités par les bonnes relations personnelles que Paul Sadoul entretenait avec André Rossinot, qui avait été autrefois son collaborateur en tant que médecin ORL au laboratoire.

Rédacteur en chef du Pays Lorrain

Paul Sadoul s'intéressa plus particulièrement à la revue de la Société, Le Pays lorrain; il se sentait l'héritier et le successeur de son père, fondateur de la revue. Il demanda d'ailleurs à ce que se perpétue la tradition familiale en faisant entrer au comité de rédaction son fils, le docteur Jean-Charles Sadoul.

Membre du comité de rédaction depuis 1968, il devint rédacteur en chef en 1987, succédant à Antoine Beau, poste qu'il occupa jusqu'en 2007, avant de le transmettre à Michel Maigret. Il se mit à la recherche d'articles sur des sujets éventuellement nouveaux ; il mit au point un protocole de relecture par deux experts anonymes, par analogie avec sa pratique au Bulletin de physiopathologie respiratoire , procédure qui aboutissait à l'acceptation, au rejet (de 15 à 30%) et le plus souvent à la révision des textes proposés en accord avec l'auteur. Il prépara plusieurs numéros spéciaux, consacrés à l'eau, à l'université, au technopole Nancy Brabois et rédigea lui-même un certain nombre d'articles, ainsi que des rubriques nécrologiques et un hommage à Antoine Beau. Comme tout rédacteur en chef et avec l'aide de son comité de rédaction et du bureau de la Société, il se préoccupait, et à juste titre, de la diffusion de la revue, de son financement, de son iconographie, en veillant, avec l'imprimerie Bialec, à une très grande qualité de présentation, faisant de notre revue régionale une indiscutable revue de prestige.

Un homme engagé, exigeant et chaleureux

Profondément marqué par les traditions familiales de travail, de rigueur, d'honnêteté, d'ouverture, par ses convictions républicaines et patriotiques et l'attachement à notre petite patrie lorraine et en cela très barrésien, il l'était aussi par ses convictions religieuses.

On ne peut passer sous silence son engagement dans le scoutisme. Louveteau dès l'âge de 10 ans, il fut scout pendant vingt ans, et resta fidèle, dans son cœur et dans ses engagements personnels, à la promesse, à la prière scoute, à l'engagement de la BA (bonne action) quotidienne ; cela l'aida plus tard à maintenir la discipline, l'esprit d'équipe, car le rôle du chef de meute ou de troupe est d'abord le souci de l'autre, des autres. Sa ligne de conduite était bien de se dépenser, sans attendre d'autre récompense que de rendre service. Sa morale exigeante au service des autres était bien d'être utile.

Sportif, il l'était et l'est resté longtemps ; nageur, skieur, marcheur, exigeant pour lui même et les autres, il avait le sens de l'effort, de la compétition, du dépassement.

Chaleureux, attentif à ses collaborateurs, aux étudiants, particulièrement aux étudiants et stagiaires étrangers, il était parfaitement à l'aise lorsqu'il quittait la France ; il contribua notablement au rayonnement de notre Faculté.

Il effectua de nombreuses missions scientifiques en Amérique, dans les Pays de l'Est, en Russie, en Chine, au Vietnam…

Très attaché à sa famille, il avait épousé, en 1945, Colette Noviant, et ils avaient eu six enfants, qui leur donnèrent dix-huit petits-enfants et douze arrière-petits-enfants.

De ce mariage très uni, sont nés Pascale (Mme Bernard Rollin, elle-même médecin et épouse de médecin), Jean-Charles, médecin généraliste installé à Nancy, Hélène (Mme Eric Delva), Marie-Noëlle, Nicolas, universitaire, professeur de cardiologie et Rémy, professeur de Sciences à l'Université de Grenoble et spécialiste de neurobiologie.

Il avait un profil d'empereur romain et un aspect parfois théâtral ; il dit d'ailleurs, un jour, à un de ses collaborateurs, Dechoux : « Voyez-vous, ce qui me différencie de vous, c'est que j'ai fait du théâtre dans ma jeunesse ». Il savait s'imposer, orienter et dominer un débat (avec parfois un côté « grande gueule », comme tous les Sadoul…). Je l'ai vu un jour se dresser véhément, dans un wagon TGV, contre un fumeur impénitent, (l'interdiction n'était pas encore absolue), en le traitant, devant une trentaine de personnes, d'assassin, de lui-même et des autres !

D'une grande culture générale médicale et autre, polyglotte, parlant bien l'anglais, il avait une ouverture sur le monde. Son esprit était rigoureux et créatif, c'était un winner (et non un looser …). Passionné de réaliser, d'organiser, de maintenir au plus haut son Ecole ou la Société, on pourrait dire de lui comme Chamfort, souvent cité par le général de Gaulle : « Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu ».

Ce grand médecin, ce grand universitaire, se dévoua sans compter pour notre Société. Saluons la force de ses convictions, la générosité et la fécondité de ses idées, l'importance de ses réalisations, même si tout recommence toujours…

Dans sa leçon inaugurale, il avait terminé son allocution en citant le philosophe Alain : « Attendre et craindre sont deux péchés. Oser et travailler, voilà la vertu ». Sans doute en avait-il fait sa règle de vie.

Biographie Pays Lorrain par A. Larcan