Edmond DES ROBERT

Né en 1878, décédé en 1955.

A une année près, Edmond des Robert a siégé un demi-siècle au bureau de la Société d'archéologie lorraine et du Musée historique lorrain. Il avait été le familier de ceux qui, après la guerre de 1870, avaient reconstruit le palais ducal et reconstitué ses collections, puis, après avoir travaillé à leurs côtés, il fut le président qui, après la guerre 1914-1918, assura la prospérité de notre maison.

Ses ascendances étaient surtout militaires. Jean-François des Robert, issu d'une famille de maîtres verriers languedociens, officier appartenant aux armées du maréchal de La Ferté-Senneterre, se fixa dans le pays haut et devint capitaine des portes et aide-major de Montmédy ; il avait épousé une Lorraine.

Il fut la souche d'une lignée où l'on compte d'abord des soldats, mais aussi des magistrats et des prêtres. Presque tous les ancêtres de notre confrère vécurent dans la région de Montmédy ou de Metz. Le père d'Edmond des Robert, né à Metz, qui avait épousé la fille du général Roustan de Golberg, soldat de l'armée d'Afrique et de Sébastopol, lui aussi issu d'une famille mosellane de tradition militaire, se fixa à Nancy après l'annexion. Edmond des Robert naquit le 25 mai 1878. Il fit ses études au collège Saint- Sigisbert, où il eut pour maître Mgr Eugène Martin l'historien lorrain. Il avait choisi la carrière militaire quand une maladie l'empêcha de poursuivre la préparation à l'École de Saint-Cyr qu'avait déjà sanctionnée une admissibilité.

De sa vocation première il conserva le goût de la vie active qu'il mit au service des œuvres de jeunesse. Il demeura de longues années président de l'Union Drouot, association catholique placée sous le signe du « 'sage de la Grande Armée » qui groupait, dès avant 1914, quatre-vingts sociétés de gymnastique et de sport et qui donna à l'armée de vaillants soldats. Il avait tout ce qu'il fallait pour réussir auprès des jeunes : il savait attirer les bonnes volontés par sa générosité, son entrain.

Si prenantes que pussent être les charges qui le vouaient à la formation des générations nouvelles, gage de l'avenir du pays, elles ne le détournaient point de l'étude du passé à laquelle il donna le meilleur de lui-même. Edmond des Robert appartenait à un milieu qui mettait à leur rang les choses de l'esprit. Son oncle Ferdinand des Robert, qui, comme son père, s'était établi à Nancy après l'annexion, avait consacré à l'histoire de Metz maints articles, puis, fixé dans la Lorraine ducale, s'était engagé dans des recherches approfondies sur le règne de Charles IV qui l'avaient conduit à publier de solides ouvrages sur l'une des périodes les plus troublées de notre passé, ouvrages dont le dernier devait être achevé par E. des Robert.

Une sœur de son père avait épousé le baron Charles Piat de Braux, qui, lui aussi, occupait une place enviable parmi les érudits lorrains. Le baron de Braux s'était surtout attaché à l'étude des vieilles familles lorraines, spécialement à la généalogie de la famille de Jeanne d'Arc à laquelle il se rattachait, et il devait, en 1902, publier l'une de ses dernières œuvres avec la collaboration d'Edmond des Robert : l'édition du Héraut d'armes de Lorraine de Perrin dè Dom martin, nobiliaire de l'ancienne chevalerie lorraine.

Servi par une infaillible mémoire, notre confrère devait acquérir dans le domaine de la recherche historique des connaissances étendues. C'est essentiellement vers la généalogie, l'héraldique, la sigillographie qu'il allait s'orienter. L'étude de ces sciences auxiliaires de l'histoire était à l'honneur à la fin du siècle dernier dans notre Société, notamment grâce à Léon Germain de Maidy. Le savant secrétaire perpétuel qui, pendant un demi-siècle, lui aussi, siégea au bureau de notre association avait inlassablement publié des notes sur l'archéologie lorraine : il avait fait une place particulière à l'héraldique, mais ce n'était là qu'un des aspects de son activité; généalogie, iconographie, épigraphie, etc... l’attiraient aussi; il ne s'attachait pas en général à des travaux qui demandaient de longs dépouillements : il dispersait sa science en d'innombrables articles et scrutait peu les archives. Edmond des Robert procéda d'une manière assez différente. Sans doute publia-t-il dans le Bulletin et les Mémoires de la Société d'archéologie le résultat de ses recherches sur tel sceau inédit, telle plaque de foyer, tel fer de reliure, mais il se voua surtout à des travaux de longue haleine. Dès ses débuts, il entreprit un immense répertoire, le catalogue des sceaux conservés aux Archives de Meurthe-et- Moselle. Ce riche dépôt contient de beaux fonds ecclésiastiques, et aussi, et surtout, le Trésor des chartes de Lorraine. Dans les vieilles « layettes » des XVIIe et XVIIIe siècles où sont classées les pièces demeurent encore des sceaux, fragiles objets qui ont, en grand nombre, défié (pour combien de temps, hélas?) les causes de destruction que les déplacements de ce fonds précieux, voire la simple communication des documents multipliés.

Edmond des Robert, avec la régularité, l'ordre, l'exactitude, la méthode qui lui étaient propres, examina, pièce par pièce, tous les articles des fonds anciens des Archives de Meurthe-et-Moselle et, suivant les règles instaurées par Douët d'Arcq pour l'inventaire des Archives nationales, décrivit tous les sceaux, et aussi tous les cachets qui authentiquaient encore les documents, il en dénombra 8.687. Besogne longue et minutieuse, menée avec tout le soin désirable, qu'avant la seconde guerre mondiale avait achevée Edmond des Robert. Malheureusement déjà, après la guerre de 1914-1918, il était difficile d'envisager l'impression d'un aussi copieux ouvrage, du fait de la cherté des impressions. Ces volumes furent dactylographiés en plusieurs exemplaires déposés actuellement à la Bibliothèque nationale, aux Archives nationales et aux Archives de Meurthe- et-Moselle, et, seuls, les tableaux systématiques et les tables furent imprimés à Baden-Baden en 1952 : ils permettent, sinon de tenir lieu d'une publication intégrale, du moins d'orienter le chercheur et de lui faire prévoir ce qu'il pourra trouver dans cette oeuvre de solide érudition, source précieuse pour l'héraldique, l'iconographie, la généalogie et l'histoire.

Avec la collaboration de son ami, le comte Antoine de Mahuet, il publia, dès 1906, un Essai de répertoire des ex-libris et fers de reliure des bibliophiles lorrains, qui fut suivi d'un complément fort important en 1933. Benoît avait consacré un semblable travail aux bibliophiles des Trois-Évêchés seulement (1888); nos deux confrères étendirent leurs recherches à toute la Lorraine; cet ouvrage contient la description d'innombrables vignettes découvertes au cours de nombreuses investigations dans les bibliothèques et collections diverses. Amateurs et historiens du livre ont sans cesse recours aux précieuses notes de ce recueil, où l'on trouve quantité d'informations généalogiques et héraldiques. Ce répertoire a ajouté aux catalogues des graveurs qui, comme les Collin ou Nicole, ont excellé dans l'art de l'ex-libris.

Ces charmants aquafortistes étaient d'autant plus appréciés par Edmond des Robert que lui-même pratiquait l'art de l'ex-libris. Il en dessina un grand nombre, puisant essentiellement son inspiration dans l'héraldique où il était passé maître. On retrouve dans ses oeuvres la science des peintres héraldistes lorrains, des hérauts d'armes de nos ducs qui, tandis que l'art du blason s'affadissait le plus souvent à des époques tardives, avaient su conserver le vigoureux dessin et la fantaisie du moyen âge. E. des Robert avait pu se pénétrer de leur esprit en examinant les sceaux ou en feuilletant les armoriaux anciens dont il possédait de beaux spécimens qu'il a d'ailleurs légués au Musée lorrain. L'art du blason était toujours vivant pour lui. Collectionneur d'ex-libris, il contribua, en 1939, à la création de l'Association française des collectionneurs d'ex-libris qui remplaça la Société du même nom fondée en 1891, disparue en 1930. Il en devint le président; elle est aujourd'hui prospère. Il publia un petit guide du collectionneur d'ex-libris à l'occasion d'une exposition internationale organisée à Nancy en 1946; il y a quelques années ses confrères lui offrirent en témoignage de reconnaissance sous les auspices du Professeur Eugène Olivier une plaquette où l'oeuvre historique et artistique qu'il avait consacrée aux ex-libris était présentée.

E. des Robert ne sépara pas l'héraldique de la généalogie. Il avait sur les familles lorraines des dossiers très complets et, dans maintes études consacrées à des familles notables, à des personnages marquants, il a donné la preuve de son savoir et de l'étendue de ses recherches.

Ainsi, l'érudition d'Edmond des Robert s'imposa-t-elle aux sociétés savantes de Nancy. Sa science et son urbanité l'avait désigné aux suffrages de ses collègues de la Société d'archéologie qui l'élurent, en 1906, aux fonctions de secrétaire, aux côtés de Germain de Maidy. En ce temps-là, nombreux étaient les hommes, qui, jouissant d'une fortune ou seulement de quelque aisance, tenaient à honneur de se meubler l'esprit et consacraient leurs loisirs aux recherches érudites. La Société d'archéologie bénéficiait de leurs concours. Edmond des Robert fut l'animateur des réunions où ils lisaient leurs travaux, des excursions à travers la Lorraine, au cours desquelles ils examinaient les monuments du pays, des rencontres plus intimes où chaque semaine dans la bibliothèque de la Société, abritée dans la tour de l'horloge du Palais Ducal, ils se questionnaient sur leurs découvertes. Temps heureux, temps faciles qui précédèrent la première guerre mondiale! En 1914-18, Edmond des Robert servit aux armées en qualité de lieutenant, ce qui lui valut la croix de chevalier de la Légion d'honneur. A son retour, l'Académie de Stanislas, dont il était le correspondant depuis 19lI, l'accueillit au nombre de ses membres titulaires (1919).

La tourmente avait éprouvé Nancy; la Société d'archéologie et le Musée lorrain avaient subi de rudes coups. Les collections avaient été évacuées au Bois Chenu, à Domremy. Il fallut, en 1919, remettre tout en place. La Société avait perdu beaucoup de ses adhérents, ses ressources avaient diminué et, avec l'augmentation des frais d'impression, les possibilités de publier s'étaient beaucoup amenuisées. On voulut la revigorer. Pierre Boyé, qui présidait aux destinées de la Société depuis 1908, désirait se consacrer plus complètement à ses travaux personnels, on demanda à E. des Robert de le remplacer. Il fallut animer notre association, recruter de nouveaux membres, intéresser à notre société les personnes nouvellement installées à Nancy, resserrer ses liens avec l'Université. E. des Robert, accueillant, mêlé à la vie, était l'homme qui convenait. Respectueux des traditions qu'il avait reçues, il devait, comme il le fallait, les adapter à des conditions économiques et sociales nouvelles. Il ne tarda pas à redonner un élan à une œuvre qui voulait survivre. Il eut comme collaborateurs ceux qui, depuis de longues années déjà, s'intéressaient à la prospérité de la Société, outre P. Boyé, Émile Duvernoy, Marcel Maure, Charles Sadoul, Georges Demeufve, Paul Chenut, Paul Laprevote, le comte Antoine de Mahuet, Georges Goury. Successivement les plus anciens membres du bureau que l'on aurait pu appeler les Nestors de l'érudition lorraine moururent Léon Germain de Maidy, Justin Favier, Charles Guyot. Il fit appel à des professeurs pour combler les vides, tels Charles Bruneau, André Gain, et aussi à son vieil ami, à son vieux camarade de Saint-Sigisbert, Paul Délavai, directeur de Banque, mais aussi amateur d'histoire, qui devait faire un trésorier averti.

Ainsi, la Société d'archéologie, sous la présidence d'E. des Robert, reconquit ses effectifs et dépassa même ceux de 1914. Elle ne put cependant retrouver ses anciennes ressources, car jamais on ne put « revaloriser » les cotisations en fonction des exigences de la vie. Les publications ne reprirent jamais l'ampleur qu'elles avaient eue, du moins s'efforça-t-on de maintenir leur qualité. C'est sous l'impulsion d'E. des Robert que les promenades archéologiques reprirent vie depuis 1927.

Sa présidence devait être marquée par un fait très important, les agrandissements du Musée lorrain. Jusqu'en 1935, le cadre du Musée était resté celui de 1875 dans l'ancien palais ducal, à cela près qu'en 1910-12 deux salles supplémentaires avaient été conquises sur les locaux de l'École primaire supérieure, qui occupait, comme l'on sait, la partie « restaurée » du palais. Cédant aux vœux maintes fois renouvelés de la Société d'archéologie, la municipalité avait décidé d'abandonner au Musée le Palais ducal tout entier.

Jusqu'en 1936, l'aspect des locaux de la Société et du Musée était resté à peu près immuable. Les séances se tenaient au rez-de-chaussée du palais, à l'extrémité de la galerie archéologique dans une salle toute tapissée de livres accumulés sur des rayons trop étroits qui cachaient de belles boiseries Louis XV, sombre salle éclairée toutefois d'un « lustre au gaz » clignotant qui avait remplacé de vieilles lampes à pétrole qui demeuraient encore oubliées sur quelques meubles ! Les collections du Musée étaient entassées dans des locaux exigus; la galerie des Cerfs, malgré ses cinquante-cinq mètres de longueur, était encombrée au-delà de toute expression. Les conservateurs, Charles Sadoul, Georges Demeufve, qui avaient engrangé de nombreuses richesses, mouraient à la veille de les mettre en œuvre. Edmond des Robert, ainsi que son collaborateur et ami le comte Antoine de Mahuet, vice-président de la Société depuis 1930, sut convaincre la municipalité de Nancy de la nécessité d'assurer les nouveaux aménagements du Musée. Jusque-là la ville de Nancy avait encouragé le Musée par de modestes subventions : cette fois les municipalités présidées par le comte Malval, Charles Noël, puis le Dr Schmitt assumèrent entièrement les frais de la réorganisation du Palais ducal. Edmond des Robert avait su trouver de puissants appuis, celui du maréchal Lyautey, qui l'avait accompagné chez le comte Malval pour « insister avec son énergie coutumière » sur l'urgence des transformations du palais. Il pouvait présenter l'œuvre accomplie le 7 août 1937 à Albert Lebrun, président de la République, dans une cérémonie qui n'eut pas un caractère officiel, et, le 5 décembre, à M. Georges Huisman, directeur général des Beaux-Arts, qui vint inaugurer le Musée renouvelé.

Ces jours fastes furent bientôt suivis par les années sombres de la guerre. Le palais ducal fut vidé de ses collections. Edmond des Robert avait dû quitter Nancy. Il gagna, en 1942, l'Afrique du Nord, et ne revint en Lorraine qu'en 1945 après un pénible voyage. Dans l'intervalle, la maladie l'avait cruellement éprouvé. Une affection rhumatismale lui avait rendu la marche particulièrement pénible. Cet homme actif à l'allure rapide ne pouvait plus se déplacer que grâce à deux cannes. Dès lors, il jugea impossible de continuer à assurer la présidence de notre Société. Il souhaita que M. Édouard Salin dont il savait la science et le dévouement à la Lorraine lui succédât; ainsi fut fait, mais ses confrères voulurent que son expérience demeurât au service de notre œuvre; on l'élut président honoraire : ainsi, comme par le passé, put-il suivre de près notre action. Afin de pouvoir le faire plus aisément, il fixa sa demeure à proximité du Palais ducal, dans le pavillon est de l'hémicycle de la Carrière, naguère habité par Guerrier de Dumast puis par les descendants de l'ardent « lotharingophile » (le petit-fils de Guerrier de Dumast, qui avait consacré une partie de son activité aux recherches généalogiques, décédé en 1940, était le beau-frère d'E. des Robert).

C'était pour notre ancien président une rude épreuve que d'être en quelque sorte cloué sur son siège dans son cabinet de travail. Cependant il ne donnait jamais l'impression du découragement; étant passé de l'activité la plus grande à une sorte d'immobilité, il ne se plaignait pas. Il se consacra jusqu'à la fin à ses curiosités ordinaires, s'y livrant avec la même joie que naguère. Il accueillait toujours son visiteur avec le même empressement, la même bonhomie.

Son heureux naturel résista à cette épreuve. Edmond des Robert était un homme d'un très bel équilibre, chrétien d'une foi robuste, innée en quelque sorte, foncièrement droit et loyal, simple et sans détour, équitable et bon; son caractère que tous appréciaient explique ses réussites. On aimait collaborer avec lui, parce qu'on était sûr de son jugement, de sa parole et aussi de son affection. Son objectivité, qui excluait toute idée préconçue, en faisait un conciliateur par excellence. C'était un homme de c?ur. Ce père de famille remarquable, qui n'eut pas de mal à apprendre l'art d'être grand-père, se consacrait d'autant mieux aux siens qu'il s'était fait comme une religion de sa lignée qu'il avait suivie à travers les générations et à travers toutes ses branches, avec une extraordinaire virtuosité, non pour en tirer vanité, mais pour y chercher des exemples d'honneur et de probité.

Il avait voulu, dans sa jeunesse, nous l'avons dit, se consacrer au métier des armes, comme la plupart de ses ancêtres; le sort ne le lui permit pas : il était heureux du moins que l'un de ses fils et son gendre fissent de brillantes carrières d'officiers; on peut dire toutefois qu'il mit au service des causes qui lui étaient chères et auxquelles il se donna tout entier, la loyauté d'un soldat.

 

Pierre Marot Pays Lorrain 1955 A36 Vol 13